Nous n’avions plus que sept kilomètres jusqu’à Saint-Privat d’Allier et les pèlerins s’amassaient à l’entrée d’un chemin
caillouteux, ils avaient tous plus de cinquante ans. Le papi piocha parmi eux
pour converser tandis que je hâtais le pas, sautant de pierre en pierre.
Réalisant que j’étais trop rapide, je ralentis un peu et surpris le voisin à
parler de moi, admirant ma souplesse, mon endurance et fantasmant vingt années
de moins.
Au début de
la marche, les conversations ne sont pas longues, après vingt minutes nous
reprenons notre propre rythme et nous détachons des groupes temporaires.
Camille et moi étions de nouveau côte à côte. Il évoquait les jeunes marcheurs
espagnols qui commencent cent kilomètres avant Santiago en chantant et
gambadant.
- Après deux jours, ils boitent, ils regardent leurs pieds, ils tirent
la tronche. C’est que c’est pas une promenade, le Chemin de Compostelle,
c’est dur.
Je
m’inquiétais, pour le moment, je me trouvais bien. Même si nous entamions une
montée un peu rude à travers une portion de forêt, je me sentais capable.
Bien sûr, jamais je n’avais marché si longtemps, l’épreuve me permettrait de
connaître mon potentiel, peut-être mes limites. Nous saluâmes une dizaine de
jeunes dans la vingtaine qui se reposaient dans l’herbe, les premières
personnes de mon âge. Je ne m’arrêtai pas mais j’étais enchanté de ne pas
être le seul jeune du GR65.
Durant la
dernière descente, nous nous fîmes rattraper par une autre jeune, peut-être
quelques années de plus que moi. Une fois encore, je me calais sur son rythme
et ses premiers mots, bien qu’impeccablement français, étaient teintés d’un
accent que je ne savais définir. Elle pouvait être d’outre-Manche, d’outre-Atlantique,
de n’importe où, m’enfin, pas d’chez nous.
- Je suis Danoise, de Copenhague.
- Mais, comment se fait-il que ton français soit excellent ?
J’avais toujours trouvé très curieux qu’on apprenne le français plutôt que l’anglais ou l’espagnol, notamment à cause
de sa difficulté et de son rayonnement limité.
- Personne ne parle danois dans le monde, et c’est un petit pays, il
faut qu’on apprenne d’autres langues si on veut connaître plus de monde.
Elle
comparait aussi le pèlerinage à ce qu’il fut, témoignait de l’augmentation des
prix ces cinq dernières années et du côté commercial en exergue depuis peu, le
Compostelle était devenu à la mode et les gîtes fonctionnant sur le système
de premier arrivé, premier servi, le chemin perdait de son caractère spirituel.
Elle parcourait annuellement des portions différentes, cette fois, elle
pensait rejoindre Saint-Jean Pied de Port à coups de trente kilomètres par
jour, dix de plus que nous. Ses amis ne comprenaient pas qu’elle randonnât à
chaque vacances, elle n’était pas croyante et se sentait commettre une
imposture, parfois, à marcher avec les pieux. Cela dit, elle préférait l’Eglise
protestante, majoritaire au Danemark, puisqu’elle était plus sobre, qu’elle ne
s’encombrait pas de fioritures. Emporté par nos échanges – marche, culture
danoise, voyage, cinéma – je ne faisais plus du tout attention au papi.
Il me rattraperait, on arrivait bientôt.
A Saint
Privat, je sentais déjà l’accumulation d’une marche sans chaussure, le
dessous de mes pieds fourmillait de légères douleurs. Soulagé d’avoir
atteint l’étape je n’imaginais pas pouvoir faire dix kilomètres de plus. On
aurait des journées difficiles, des distances similaires aux siennes, mais
il fallait nous roder, commencer plus raisonnablement. Aux premières maisons,
une famille avait dressé une table en extérieur dont il ne restait pas un
centimètre carré d’espace libre : du melon, des salades, des grillades et
des bouteilles.
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