dimanche 5 octobre 2014

La première portion

Nous n’avions plus que sept kilomètres jusqu’à Saint-Privat d’Allier et les pèlerins s’amassaient à l’entrée d’un chemin caillouteux, ils avaient tous plus de cinquante ans. Le papi piocha parmi eux pour converser tandis que je hâtais le pas, sautant de pierre en pierre. Réalisant que j’étais trop rapide, je ralentis un peu et surpris le voisin à parler de moi, admirant ma souplesse, mon endurance et fantasmant vingt années de moins.
Au début de la marche, les conversations ne sont pas longues, après vingt minutes nous reprenons notre propre rythme et nous détachons des groupes temporaires. Camille et moi étions de nouveau côte à côte. Il évoquait les jeunes marcheurs espagnols qui commencent cent kilomètres avant Santiago en chantant et gambadant.
  • Après deux jours, ils boitent, ils regardent leurs pieds, ils tirent la tronche. C’est que c’est pas une promenade, le Chemin de Compostelle, c’est dur.
Je m’inquiétais, pour le moment, je me trouvais bien. Même si nous entamions une montée un peu rude à travers une portion de forêt, je me sentais capable. Bien sûr, jamais je n’avais marché si longtemps, l’épreuve me permettrait de connaître mon potentiel, peut-être mes limites. Nous saluâmes une dizaine de jeunes dans la vingtaine qui se reposaient dans l’herbe, les premières personnes de mon âge. Je ne m’arrêtai pas mais j’étais enchanté de ne pas être le seul jeune du GR65.
Durant la dernière descente, nous nous fîmes rattraper par une autre jeune, peut-être quelques années de plus que moi. Une fois encore, je me calais sur son rythme et ses premiers mots, bien qu’impeccablement français, étaient teintés d’un accent que je ne savais définir. Elle pouvait être d’outre-Manche, d’outre-Atlantique, de n’importe où, m’enfin, pas d’chez nous.
  • Je suis Danoise, de Copenhague.
  • Mais, comment se fait-il que ton français soit excellent ?
J’avais toujours trouvé très curieux qu’on apprenne le français plutôt que l’anglais ou l’espagnol, notamment à cause de sa difficulté et de son rayonnement limité.
  • Personne ne parle danois dans le monde, et c’est un petit pays, il faut qu’on apprenne d’autres langues si on veut connaître plus de monde.
Elle comparait aussi le pèlerinage à ce qu’il fut, témoignait de l’augmentation des prix ces cinq dernières années et du côté commercial en exergue depuis peu, le Compostelle était devenu à la mode et les gîtes fonctionnant sur le système de premier arrivé, premier servi, le chemin perdait de son caractère spirituel. Elle parcourait annuellement des portions différentes, cette fois, elle pensait rejoindre Saint-Jean Pied de Port à coups de trente kilomètres par jour, dix de plus que nous. Ses amis ne comprenaient pas qu’elle randonnât à chaque vacances, elle n’était pas croyante et se sentait commettre une imposture, parfois, à marcher avec les pieux. Cela dit, elle préférait l’Eglise protestante, majoritaire au Danemark, puisqu’elle était plus sobre, qu’elle ne s’encombrait pas de fioritures. Emporté par nos échanges – marche, culture danoise, voyage, cinéma – je ne faisais plus du tout attention au papi. Il me rattraperait, on arrivait bientôt.

A Saint Privat, je sentais déjà l’accumulation d’une marche sans chaussure, le dessous de mes pieds fourmillait de légères douleurs. Soulagé d’avoir atteint l’étape je n’imaginais pas pouvoir faire dix kilomètres de plus. On aurait des journées difficiles, des distances similaires aux siennes, mais il fallait nous roder, commencer plus raisonnablement. Aux premières maisons, une famille avait dressé une table en extérieur dont il ne restait pas un centimètre carré d’espace libre : du melon, des salades, des grillades et des bouteilles.

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