Lui revêtait l’équipement idéal, un sac de randonneur qui laissait respirer le dos, des sacoches ventrales
pleines de poches pour attraper la nourriture sans avoir à s’arrêter, deux
bâtons de pèlerins qui, bien que robustes, pouvaient se détacher s’il fallait
les désembourber, les plier en trois s’il fallait les ranger. Je ne sais pas
qui de nous deux avait voyagé le plus mais on ne pouvait douter de qui était le
mieux équipé : il portait des chaussures de randonnées et moi des claquettes,
il avait une casquette de marcheur estampillée « Santiago » et moi ma
crinière, il avait une polaire légère qu’il pouvait porter par tous les temps
et moi un gros sweat qu’on m’avait filé.
J’avais
aussi récupéré une serviette Décathlon, trois t-shirts de sport et une paire de
baskets de la famille de Sandra pour qui le marathon coule dans les veines
– plus que ça, c’est l’Iron Man, dont le marathon n’est qu’une des étapes, qui
les irrigue. Sans mon cousin Maurice, j’aurais marché en jean. La vérité est
qu’à chaque fois que je jetais un œil sur mes affaires, il semblait que je
n’avais jamais voyagé, que je ne savais pas ce que c’était. Quatre ans de
mouvement perpétuel pour en arriver là, si c’est pas malheureux. Et même les
tongs m’avaient été offertes.
- Tu as des lunettes de soleil, au moins ? Parce que ça brûle les
yeux de marcher autant.
- Bien sûr que
non.
Les premiers pas
Comme je ne
voulais pas perdre de temps, je sautai la toilette et restais en jean, petite
chemise sous pull-over et tongs, je verrais bien à me changer plus tard si
la tenue s’avérait handicapante. Nous partîmes sans passer par l’Eglise,
Camille avait été la veille à la messe, et devancions les pèlerins qui s’y
étaient rendus, non sans regret puisque j’avais promis à Geneviève, 78
ans, résidant à Sainte-Geneviève dans l’Oise de déposer une prière à son
intention et je m’étais toujours imaginé le faire dans la cathédrale du
départ. Je n’en dis rien.
Notre rythme
était tranquille dans la montée du départ, nous discutions en s’arrêtant à
peine pour contempler le Puy dans son ensemble. Cent mètres devant nous, une
brune sans sac promenait son chien, je me demandai si j’allais passer mon temps
à sonder les gens pour savoir s’ils étaient pèlerins.
Nous nous retrouvâmes vite en pleine nature, longions les champs d’un côté, un paysage de vallons verdoyants de l’autre
avec les volcans en arrière-plan. Il y avait de nombreux arbres qui
s’agglutinaient çà et là sans pour autant constituer de forêt. Le chemin était
de terre et de pierres, nous avions rapidement quitté le goudron et gardions
bon espoir de ne pas y laisser nos plumes. Le soleil supplanta rapidement la
fraîcheur matinale et je dus retirer mon pull orange. Je m’alignais sur le
pas du grand-père, ne le devançant qu’à peine, et trouvais cette allure
agréable. Quarante jours se suivraient ainsi, quarante matins à n’avoir rien
d’autre à faire que marcher, ça ressemblait fort à des vacances.
Papi me
racontait ses dernières marches, la santé de Mamie, ses expériences culinaires,
j’évoquais mes voyages, en tirais des anecdotes. On embrayait sur les voyages
du père qui convoyait un catamaran, des petits frères et sœurs qui l’avaient
rejoint aux Seychelles, faut-il préciser que la famille partage un faible
pour le voyage ? Je recevais également des nouvelles de voisins dont
les visages et les noms me semblaient d’une autre vie, des histoires réfugiées
par-delà mon royaume des souvenirs.
- Papi, demandai-je, si je peine, on fera comme au Piton des Neiges,
quand j’avais 18 mois ? Tu me porteras sur ton dos ?
- Ha ! Oui, à l’époque où on t’appelait Boufchidor (Trouvaille de
ma tante vis-à-vis de mes principales activités : manger, déféquer,
dormir.)
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