Quand il
raccrocha, Stéphane, malien habitant à Boulogne-Billancourt me
raconta d’abord l’histoire du Mali, les touaregs armés par Kadhafi, la
chute de la Lybie et le déséquilibre entre les militaires locaux et les
mercenaires. Après un autre coup de fil que je devinais plein de
remerciements, je demandai :
- Vous avez sauvé quelqu’un ?
Il
sourit :
- On vient de Boulogne-Billancourt, on était censés partir pour
Perpignan à neuf heures mais j’ai reçu un coup de fil d’un ami. Il a vu
une femme faire tomber son sac plastique au Carrefour et l’a aidée à
ramasser ses affaires. Seulement, elle avait une balafre et un cocard.
Il l’a invitée chez lui pour lui offrir le thé et écouter son histoire
puis m’a appelé. On est allé chez elle, tous les trois, il y avait deux
types, des baraques, mais ils ont pas compris ce qui se passait.
« C’est fini, on a dit. On l’emmène avec nous. Vous ne la verrez plus
jamais. N’essayez pas de la revoir. » Ils ont bien essayé de
nous engrainer mais ils étaient trop surpris, je crois. On a mis ses
affaires dans des valises, on lui a acheté un nouveau numéro de téléphone
et on lui a demandé si elle avait quelqu’un chez qui aller. Elle a de la
famille à Angers alors on lui a payé le train. C’est son frère qui m’a
appelé pour me remercier, là. Mais on n’a rien fait, on est chrétiens, on
a juste suivi la parole de Dieu.
J’avais beau
critiquer ceux qui agissent au nom des religions, Stéphane m’avait soufflé. Je
me retins de dire que la majorité des bonnes actions pieuses dont je pouvais
témoigner étaient surtout musulmanes. L’Eglise m’avait toujours paru vieille
et inaudible, ses paroissiens égoïstes et frileux à faire le bien. J’avais
bien été aidé quelques fois par de bons chrétiens mais le conducteur avait
poussé la charité à un autre niveau.
Stéphane me
parlait de la foi :
- Toi aussi, tu dois l’avoir pour voyager comme tu le fais.
J’opinai mollement.
La spiritualité m’avait toujours résisté, c’est la réalité qui m’avait donné
foi en l’homme. On m’a tellement aidé à tout instant de ma vie que je ne
pouvais pas croire le monde aussi mauvais qu’on nous le présente. Par souci
d’honnêteté, je n’en avais pas le droit. Dieu, par contre, me boudait
toujours. Les fantômes, les esprits et les oracles partageaient son mutisme.
J’indiquai
la sortie 20, « Vous pouvez me laisser là. D’ici, je pourrai
marcher. » Il n’y avait ni lampadaire ni maison alentours, pénombre
serait un euphémisme.
- Je vais te déposer au prochain village. On ne peut pas te laisser au
milieu de la nuit, loin de tout. On a déjà huit heures de retard sur
notre planning, on n’est pas à ça près.
On
traversait un village désert, il décida de me conduire plus loin, à Brioude.
- S’il n’y avait pas encore 80 kilomètres jusqu’au Puy, je t’y aurais
conduit mais la route est encore longue jusqu’à Perpignan.
Je ne savais
quoi dire, ils en avaient déjà tellement fait pour moi et pour l’autre.
Au moment de nous séparer, nous nous remerciâmes mutuellement. Mon mode de vie
lui insufflait de l’espoir, me dit-il, je n’ai rien pu répondre, encore sonné
par tant de gentillesse.
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