Etonnamment, l’absence de sandales ne me ralentissait pas le moins du monde. Je devais bien louvoyer par moment, sautant de
pierre plate en touffe herbeuse mais je conservais ma légère avance. Un
cycliste qui me dépassait me lança :
- Ce n’est pas pieds nus qu’il faut le faire, c’est à genoux.
- Oui mais je ne voudrais pas abîmer mon jeans.
Les champs
de blé et les pâturages étaient jonchés de mûres sauvages que
j’engloutissais avec appétit. Appréciant tant leur jus que leur amertume,
j’en proposai à mon grand-père qui refusa au prétexte que chaque début de
voyage avait pour effet de lui remuer les entrailles et qu’il ne valait mieux
pas tenter le diable.
Sur nos
talons, nous rattrapaient un couple avec leur chien et un fermier du coin qui
semblait les accompagner. Un raccourci les conduisit rapidement à nous côtoyer.
Nous nous saluâmes comme nous avions salué les rares personnes croisées sur le
sentier puis ils retournèrent à leurs discussions sur les produits de la région
et le micmac de l’appellation biologique. Derrière nous, apparut un
quinquagénaire au pas rapide qui ne tarderait pas à tous nous dépasser.
Sitôt à
notre niveau, j’en profitai pour me caler sur sa cadence. Il venait de
Grenoble, avec Saint-Jean Pied de Port pour destination. Lui avait été à la
messe parmi une centaine d’autres pèlerins, ça l’avait surpris de voir
autant de monde. Sa précédente expérience du Compostelle reliait Genève et
Grenoble. C’était un mois de novembre, il n’avait croisé personne. Les
jours de verglas, il pouvait avancer sans peine, les autres, il lui arrivait de
s’enfoncer dans la neige jusqu’à la cuisse et se résignait à récupérer le
macadam. Sa vitesse me motivait, marcher avec lui m’épuiserait très bientôt.
Vous imaginez ben ma surprise quand il déclara :
- Vous marchez trop vite pour moi. Partez
devant, nous nous retrouverons peut-être au village.
J’allais
protester à la manière d’un soldat des films de guerre puis me rappelai que ma
solidarité devait se diriger vers un autre :
- Non, je vais plutôt attendre mon grand-père, on fait cette marche
ensemble.
- Très bien, nous nous retrouverons peut-être au village, je n’ai pas
encore fait de pause déjeuner.
- Entendu, à plus tard peut-être !
Raconter le Chemin
Un coin de prairie semblait tout indiqué pour l’attente, je m’y assis puis sortis mon téléphone. Quand le
couple au chien me dépassa, ils me dirent que le grand-père ne tarderait pas à
venir. Oh, vous savez, je n’étais pas pressé, je profitais de ce mélange de
fraîcheur et de soleil typique des hauteurs et des hivers, mais il arriva
effectivement après cinq minutes.
- Tu fais la sieste ?
- Non, je lis un livre sur mon téléphone, j’en ai pris pas mal pour
m’accompagner. Là, c’est Trop de bonheur d’Alice Munro mais j’ai
aussi pris Immortelle randonnée…
- Le Ruffin ? Ce bouquin est nul. C’est n’importe quoi,
beaucoup trop romancé, il en fait des tonnes. On me l’a offert pour mon
anniversaire mais il n’est vraiment pas terrible. Par contre, Mamie a
adoré.
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