Marche nocturne
Bien
qu’ayant été laissé dans la lumière, je me lançai sur la route du Puy,
incapable de marcher sur le bas-côté tant la visibilité était nulle, je
risquais de buter contre d’invisibles obstacles. Chanceux que la route fût
quasiment déserte, je pouvais marcher à bon pas, ne distinguant que les lignes
blanches sous un ciel vierge d’astres. Quand une voiture passait, j’allumais
l’écran de mon portable et l’agitais en gestes amples, tâchant au possible
de masquer mon désespoir. Chaque véhicule éclairait un panneau « Interdit
aux piétons », que je feignais ne pas voir au cas où j’aurais à
m’expliquer avec la police, et prenait un temps fou à être bouffés par
l’horizon. Un monospace s’arrêta avant un pont de fer :
- Tout va bien ? me demanda le passager qui descendit à peine sa
vitre pour prévenir une attaque à la gorge.
- Bôf, je vais au Puy et faire du stop au milieu de la nuit n’est pas
le moyen le plus sûr de m’y rendre.
- Ah désolé (il semblait sincère), nous sommes plein plein plein (je
jetai un rapide coup d’œil mais ne distinguai pas la banquette arrière).
Je voulus arguer que je passais partout, que j’avais même déjà été pris sur le toit d’un 4×4 mais je prétendis
comprendre et leur souhaitai une bonne nuit, les laissant m’abandonner au
silence, dans cet espace sans trait qui trompait le mouvement, où je ne
réalisai même pas avoir traversé le pont. D’autres voitures qui passaient sans
s’arrêter m’interrogeaient, leurs conducteurs faisaient-ils partie de ceux
qui prennent des autostoppeurs mais pas la nuit, non, parce qu’on ne sait
jamais. C’est drôle, il me semblait plutôt que le voyageur n’était jamais plus
vulnérable que la nuit, que c’était le moment où l’aide est la plus
précieuse puisqu’il n’y avait aucun recours de transports publics passé une
certaine heure.
Le dernier coup de main
Enfin, une voiture s’arrêta pour m’emmener, non pas au Puy mais pas loin, puisqu’au volant se trouvait un jeune
habitant de Langogne qui commencerait le travail huit heures plus tard. Il
revenait de Bordeaux où il avait retrouvé sa nouvelle copine sur un coup de
tête et qu’il avait quitté assez tôt pour être rentré avant minuit mais un
camion dissimula au mauvais moment le panneau qui indiquait la sortie, le
laissant se fourvoyer de cent kilomètres en direction de Royan. Il dut les
parcourir dans le sens inverse depuis une aire d’autoroute, manœuvre qu’on lui
reprocha de retour au péage, il aurait dû quitter l’autoroute et y entrer de
nouveau, au lieu de ça, on lui faisait payer une majoration sur son trajet
erroné.
Pour
rattraper son retard, il avait gardé le pied au plancher sans être certain d’avoir
échappé à tous les radars et ça faisait une heure qu’un claquement
continu se faisait entendre dans le moteur. Autrement, il m’aurait bien
déposé à destination mais toutes ces mésaventures le poussaient à rentrer
chez lui au plus tôt, il était fatigué. C’est ce qu’il m’expliquait tandis
que l’épuisement me décrochait du monde réel, me plongeait dans
l’absence, je piquais sévèrement du nez mais osai quelques phrases dignes de
Derren Brown :
- Je comprends tout à fait, moi aussi je suis mort, je ne rêve que
d’entamer ma nuit. Vous allez me déposer où ? A sept
kilomètres ? Ca va, ce n’est qu’à une heure de marche, c’est rien par
rapport à tout ce que j’aurais dû faire si vous ne m’aviez pas pris. C’est
rien par rapport à ce que je marcherai les quarante prochains jours.
Je laissais
décanter, sentis l’idée faire son chemin et le laissais dire, tout
naturellement :
- Ca fera dix minutes en voiture, quitte à en être là, je vais te
déposer aux Baraques.
Passant les
Baraques, il ajoutait qu’il pouvait bien prendre trois minutes de plus pour me
déposer directement au Puy. Je le remerciais du bout de mon asthénie et
entrepris de trouver un endroit où dormir. Il était trop tard pour croiser
une bonne âme dans la rue, je poussais les portes de garages et d’entrées
d’immeubles pour me rendre compte que derrière chacune se cachaient des
décombres. Cette partie de la ville n’avait que des façades, ses
bâtiments étaient aussi creux que ceux des parcs d’attraction, un ersatz de
cité, à peine un décor. Une porte mal fermée me permit quand même d’accéder à
une cage d’escalier, je montai jusqu’au dernier étage, serrant les dents et la
colonne vertébrale au moindre crissement de marche puis déroulai mon sac de
couchage sur un sol poussiéreux à l’abri des regards.
(voir mon précédent pèlerinage en 2013) et mon dernier séjour à Santiago en 2015: http://accueilantasantiago.blogspot.com
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